Le réseau social audio ClubHouse a connu des records de téléchargements depuis son lancement en avril 2020. Dans cette note publiée en mars 2021, Sébastien Ruiz, Directeur Audio chez GroupM, présentait la plateforme et formulait une première analyse de l’impact des réseaux sociaux audio sur le media radio. Et puisque de réseau social à publicité digitale, il n’y a qu’un pas, Keyade lui a également tendu son micro…
Alors que les géants de la tech et les plateformes media semblaient tout miser sur la video, comment expliquer ce virage vers l’audio ?
SR : Nous vivons dans une société sollicitée par des millions voire des milliards de contenus. La force de contenus basés sur la voix – comme les podcasts ou plus récemment un réseau social audio comme ClubHouse – est qu’ils peuvent être consommés tout en se dédiant à une autre activité, comme cuisiner, repasser, faire ses courses, marcher dans la rue, etc. On peut ainsi voir ce virage de l’audio comme un pas de plus vers l’hypertasking et la rationalisation du temps pour les consommateurs de contenus.
Les réseaux sociaux audio comme ClubHouse sont-ils des concurrents des réseaux sociaux classiques ?
SR : ClubHouse ne se positionne pas comme tel et considère plutôt qu’il apporte une offre complémentaire à ce qui existe déjà. Dans les faits, ClubHouse concurrence bien sûr des réseaux comme Facebook, Instagram ou Twitter si on considère le temps des usagers comme le gâteau à se partager. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ces plateformes développent ou ont déjà sorti leur propre réseau social audio.
Qu’est-ce que les réseaux sociaux audio apportent de nouveau à l’offre de contenus audio ?
SR : Concrètement, ce format ne propose rien aujourd’hui qui n’ait été inventé hier. Au cours des dernières années, les plateformes de musique en streaming ont remplacé le fond sonore et la fonction de découverte de titres que proposaient les radios musicales. Ces dernières ont alors entamé un premier virage vers le divertissement et l’information (pas forcément généraliste) et ont adapté leurs grilles vers plus de programmes parlés (à titre d’exemple, sur Fun Radio, avec 4 émissions thématisées sur le divertissement ou le conseil, c’est 63% du temps d’antenne consacré aux émissions parlées en 2021 contre 29% uniquement en 2009). L’émergence des podcasts natifs a ensuite plus largement diversifié l’offre de contenus – avec des sujets informatifs plus spécialistes et thématiques – et a aussi fait émerger la consommation en différé. Qu’apportent alors les réseaux sociaux audio ? Je dirais qu’ils donnent l’opportunité de mixer la diversité des contenus proposée par les podcasts avec la diffusion en direct propres aux émissions de radio.
Les réseaux sociaux audio : tendance éphémère ou tendance de fond ?
SR : Pour être honnête, je ne crois pas à 100% au format tel qu’il existe aujourd’hui. Il y a bien sûr une place à prendre mais je doute qu’on atteigne le niveau des réseaux sociaux qui existent déjà. Comme je l’expliquais, je ne pense pas qu’on vive une véritable révolution de l’audio, plutôt une meilleure adaptation des recettes existantes grâce à la technologie.
En revanche, je pense que ClubHouse est un format qui peut exploser s’il évolue vers l’interactivité. L’une des principales forces de la radio est justement sa proximité avec l’auditeur et sa capacité à le faire intervenir en direct. Aujourd’hui la plateforme propose cela, mais c’est encore très dépendant de l’organisateur de la conférence et des fonctionnalités proposées par la plateforme.
Enfin, si on parle de l’audio en tant que tel, il ne faut pas oublier tout le travail que font les radios autour du son. Grain, musicalité, rythme, il y a toute une signature sonore designée par les radios, alors même qu’aujourd’hui ClubHouse pêche par la pauvreté de sa qualité sonore.
Pour résumer, je crois que les réseaux sociaux audio ont de beaux jours devant eux s’ils sont capables de proposer des émissions de qualité en direct, avec une bonne qualité sonore, et s’ils réussissent à susciter l’interaction avec les auditeurs.
ClubHouse a-t-il une chance de survivre face aux réseaux sociaux audio développée par des plateformes établies ?
SR : Twitter a lancé Spaces, Facebook a lancé Live Audio Rooms, LinkedIn travaille aussi sur des fonctionnalités audio. Il est aussi possible que ClubHouse ait connu son succès un peu trop tôt car l’appli est mise à jour très fréquemment ce qui fragilise l’expérience utilisateur. Et le son est loin d’être optimal ! Donc si des plateformes comme Facebook arrivent sur le créneau de l’audio fortes de leurs gigantesques bases d’utilisateurs, il y a fort à parier que l’audio subisse la même loi que d’autres formats avant lui : tout le monde peut participer mais à la fin ce sont les mastodontes qui gagnent.
A quelle forme d’offre publicitaire peut-on s’attendre sur les réseaux sociaux audio ?
SR : J’imagine qu’il y aura de la publicité classique du type format in-stream de 30 secondes. Ce sera de la publicité un peu intrusive, c’est sûr, mais ce sont des formats rentables qui permettront aux plateformes d’installer leur modèle. Ensuite, on verra sans doute apparaître des formats plus premium, avec de la publicité parlée réalisée par les animateurs de conférence (s’ils ont de l’audience) ou par des influenceurs, comme ça existe déjà sur le podcast.
Les réseaux sociaux audio ne viendraient donc pas disrupter un modèle publicitaire mais plutôt enrichir l’offre audio existante. Les annonceurs pourront s’appuyer sur l’expertise de nos agences pour réaliser des prises de parole thématisées sur cette audience audio toujours plus fragmentée.