La fin de l’année 2019 aura amené son lot de surprises à bien des égards : en décembre dernier, c’est chez Amazon qu’on ne cachait pas sa stupeur après les annonces de deux retailers, Nike et Ikea, de quitter le navire du géant californien. Pour la petite histoire, les deux marques avaient commencé à distribuer leurs produits sur la plateforme en 2017, plus par capitulation sous la pression du marché que par réel enthousiasme de s’associer à ce nouveau partenaire.
Mais pourquoi quitter le navire aujourd’hui, alors que la plupart des marques sont lancées dans une course effrénée à l’omnicanalité (site, marketplace, magasin, concept store, click&collect…) ? Pourquoi abandonner la plateforme maintenant, alors qu’elle est en train de se tailler une place de choix au sein des stratégies de distribution des marques et de leurs plans média ? Les décisions de Nike et de Ikea ont fait l’effet d’une petite révolution dans le monde du e-commerce : nous nous proposons d’observer de plus près les réflexions par lesquelles elles ont été motivées.
Amazon ou l’antagonisme entre partenariat et concurrence
Pour sa part, Nike explique vouloir « se concentrer sur ses activités propres » et « faire de la vente directe au consommateur son principal moteur de croissance » mais sa décision reflète avant tout un grand désaveu du programme de lutte contre la contrefaçon promis par Amazon, programme jugé inefficace puisqu’un nombre considérable de copies des produits de l’équipementier continuent de circuler sur la plateforme.
Côté Ikea, aucune communication n’a appuyé les raisons d’une telle décision mais gageons que le lancement par Amazon, en février 2019, de deux marques de mobilier en Europe (territoire historique d’Ikea) a fortement déterminé l’enseigne suédoise à « arrêter les frais » avec le géant californien.
Retrouver la maîtrise de sa data…
Les décisions de Nike et de Ikea de quitter Amazon pourraient bien relever de motivations plus larges : les GAFA se mènent une guerre de l’attention sans merci et conçoivent de plus en plus de formats et de services destinés à retenir les internautes au sein de leur écosystème – Facebook héberge les articles des éditeurs sur sa plateforme, Instagram Checkout permet d’acheter directement les produits présentés dans les posts et Google Shopping Actions s’érige en marketplace (comme son concurrent Amazon) en proposant un panier Shopping centralisé et payable sur Google.
Si on comprend bien le besoin des marques de diversifier leur stratégie de distribution, la cannibalisation par les GAFA du trafic sur leur site vient pourtant les priver d’une partie conséquente de leur ‘data légitime’. Sur Amazon, c’est d’autant plus vrai que la plateforme transmet très peu de données média aux e-commerçants. Sans la data, sésame du marketing, il devient compliqué pour les marques de connaître leurs clients, analyser leurs comportements, adapter les produits, optimiser la publicité… In fine, c’est l’ensemble de la stratégie digitale qui s’en trouve impactée. Une conclusion qui n’aura pas échappé à Nike, qui revendique justement de quitter le géant pour reprendre la main sur sa stratégie marketing et commerciale.
…et de l’expérience client.
Et le client dans tout ça ? A l’heure où le nombre de touchpoints avec les consommateurs explose et où le concept d’expérience client n’a jamais été aussi protéiforme, les décisions de Nike et de Ikea semblent augurer une ère de repli. Le débat n’est pas nouveau : comment maîtriser et personnaliser l’expérience client quand des plateformes qui interviennent au début du parcours consommateur s’en approprient progressivement le milieu et la fin ? Comment travailler et développer une identité de marque si la majorité des touchpoints sont maîtrisés par des influenceurs ou des distributeurs ? Si l’on commence à mettre le doigt dans cet engrenage, nul doute que l’on questionnera tôt ou tard l’utilité d’un site internet (puisque les GAFA semblent s’être ligués pour empêcher les internautes de le visiter).
Loin de céder à cette vision paranoïaque, Nike et Ikea semblent avoir opté en toute conscience pour le choix risqué mais intègre de reprendre le contrôle non seulement de leur stratégie de distribution mais aussi de leur stratégie de relation clients. Certes ces marques jouissent d’une forte influence qui les conforte peut-être dans leurs exigences mais nous sommes curieux de voir les répercussions que pourront avoir sur d’autres acteurs ces décisions de claquer une première porte au nez d’Amazon.