Vous avez souhaité et milité pour l’acquisition de Keyade par GroupM, deux ans après, pas de regrets ?
Non ! Non seulement je n’ai aucun regret mais je me dis que si nous n’avions pas Keyade, nous aurions collectivement un vrai souci ! Même si tout n’a pas été simple et rapide, je suis d’autant plus satisfait que l’intégration se passe correctement, voire qu’elle s’est même accélérée depuis l’emménagement dans le nouvel immeuble. Aujourd’hui nous sommes prêts à nous projeter sur de nouvelles choses avec Keyade, et j’ai même envie de dire, sur un nouveau format de Keyade.
Un nouveau format ?
Au début ça a été un peu lent, mais de plus en plus d’agences du groupe confient aujourd’hui leurs activités search à Keyade. Et avec la montée en puissance sur le paid social, le biddable ou encore le SEO, nous allons vers un champ de collaboration encore élargi. Depuis quelques mois, je trouve que le dialogue est très constructif et pragmatique entre les dirigeants de Keyade et les dirigeants des agences.
Vous pensez que la confiance est installée ?
C’est une question de confiance, c’est sûr, mais également de proximité. J’ai aussi la conviction qu’il faut savoir partager des choses pour faire des bouts de chemin ensemble et ne pas rester dans la défense irréalisable d’une sorte de territoire historique et idéalisé. C’est aussi ça le sens de mon travail chez WPP maintenant : on parle souvent de « casser les silos » mais il s’agit plus de les rendre poreux et de faire en sorte que les uns et les autres comprennent que certaines intersections sont de réelles conjonctions d’intérêts.
Keyade a intégré une grande famille. Qu’est-ce qui vous rend fier d’être patron de GroupM ?
Tout d’abord ce qui me rend fier, c’est que GroupM est quand même le leader mondial de ce business ! En France on finit par l’oublier parce qu’on a Havas et Publicis en face mais je suis très fier de diriger la première agence média mondiale à Paris. Je suis fier d’une dynamique, quand je me retourne sur ces trois années, je me dis que nous avons parcouru du chemin : Keyade, Poster Conseil, le nouvel immeuble… bien sûr nous avons perdu des budgets mais nous en avons aussi gagné beaucoup. Aujourd’hui notre diversification s’accélère sur le digital, le contenu, la data… c’est passionnant. Et puis je suis fier et heureux de travailler avec beaucoup de gens ici.
Vous aimez les sujets managériaux ?
Beaucoup ! Il y a très longtemps j’avais un patron anglais qui m’avait reproché, à juste titre, d’avoir un management trop latin, c’est-à-dire trop dans la proximité, l’affection. Je suis comme ça, j’ai un vrai plaisir à manager. Nous faisons un métier d’hommes et de femmes, chaque individualité est importante. Heureusement, on connaît mieux les sujets de management et on ne manage pas les gens aujourd’hui de la même façon qu’il y a 10 ans voire même 5 ans. On manage aussi différentes générations : les jeunes collaborateurs demandent plus de missions que de fonctions, plus de responsabilisations, plus de mobilité. Nous travaillons beaucoup sur ces sujets, ainsi qu’à leur apporter de l’information sur ce qui se passe dans le groupe, leur faire comprendre où on en est. Tous ces sujets sont très intéressants.
Vous avez été nommé Country Manager de WPP en France en avril dernier, vous passez du pilotage de 800 à 5000 personnes, comment gérez-vous la pression ?
Je n’ai pas tout à fait la même responsabilité à l’égard des 800 personnes de GroupM et des 5000 personnes de WPP. Chez GroupM, je me considère comme un patron de pleine délégation tandis qu’auprès des structures WPP, j’exerce plus ce que Martin Sorell appelle un soft power : je suis plutôt un catalyseur, plus dans la persuasion que l’injonction, dans l’animation que la décision individuelle. Alors oui, je me mets la pression – mais je dirigerais une épicerie que je me mettrais la pression tout autant – je me mets la pression car il va falloir l’inventer ce job. Ca veut dire organiser mon temps, trouver une organisation managériale, etc. Nous avons déjà lancé une dizaine de workshops. Mais pour répondre à la question, non, je n’ai pas de truc pour gérer le stress. Si vous avez je suis preneur ! Je dirais que la meilleure façon de gérer le stress c’est de pouvoir partager ses doutes avec les gens avec qui on travaille.
Justement, vous incarnez une forme de réussite, est-ce qu’il y a un échec qui vous a marqué au cours de votre carrière professionnelle ?
Plein ! C’est important d’essayer… sans tomber dans le « je vous salue Fiascos » bien sûr. Aujourd’hui il y a beaucoup plus de risques à ne rien changer qu’à essayer. J’ai essayé dans le passé, il y a des choses qui marchent d’autres qui ne marchent pas, je n’ai pas eu que des réussites. Parfois le hasard fait bien les choses et m’a permis de rebondir sur des événements que je n’avais pas prévus. Je pense que c’est important d’intégrer qu’on peut se planter. On peut se planter sur des petits trucs, des gros trucs. Bon, il faut éviter de se planter trop souvent sur les gros trucs mais in fine, c’est important d’avoir des échecs, de les vivre, de les digérer. A ce sujet je vous recommande l’ouvrage de Philippe Labro, que j’avais distribué à la suite d’un pitch perdu chez OMD, qui s’appelle Tomber sept fois se relever huit. C’est une bonne philosophie.
Qu’en est-il de la culture de l’échec dans le groupe ?
Ca vient mais pas assez vite. Je pense que ce sont nos structures qui ne sont pas faites pour ça. C’est aussi pour cela que nous avons créé un partenariat avec pH8, une société spécialisée dans le design thinking. Le design thinking ce sont toutes ces techniques venues de Standford qui consistent à anticiper le coup d’après et accélérer la mise sur le marché des produits. Dans notre mentalité, pour lancer un nouveau produit, il faut tout vérifier quatre fois avant de lancer quoi que ce soit. Là l’idée c’est plutôt de réaliser une beta et d’ajuster en fonction : si c’est raté on jette, sinon on garde et on améliore. Nous ne pouvons plus nous permettre de ne pas avoir cette agilité, alors même que nous vivons dans une société qui va beaucoup plus vite et particulièrement dans nos business.
Cela fait trente ans que vous travaillez, qu’est-ce qui fait que vous courez encore ?
J’ai toujours l’impression d’apprendre des nouveaux trucs ! J’apprends sur le digital, les ressources humaines et même la finance maintenant avec WPP. Et puis j’ai retrouvé le côté international que j’avais perdu au Figaro. Qu’est-ce qui me fait courir ?… On aura compris que je suis toujours anxieux, que je me mets la pression mais de l’autre côté il y a plein de petites formes de réalisations. Voir quelqu’un avec qui on travaille grandir, c’est une forme de réalisation ; gagner un client, c’est une forme de réalisation ; construire la vie de cet immeuble, c’est une forme de réalisation. Voilà, je ne crois pas au grand soir mais je crois beaucoup à ça, une accumulation d’avancées qui font qu’à un moment donné, on se retourne en se disant qu’on a apporté quelque chose.