[TÊTE-À-TÊTE] – Jean-Claude Ghinozzi : « Qwant ne sera jamais un sapin de Noël ! »

Pour Jean-Claude Ghinozzi, l’un des responsables de Qwant, le moteur de recherche européen est en train de tirer son épingle du jeu. Nouveaux services, chiffres-clés, ambition face aux géants du web… il évoque pour nous cet acteur digital bien prometteur.

Jean-Claude-Ghinozzi-Qwant@Keyade
Jean-Claude Ghinozzi rejoint Qwant en avril 2017 après plus de 25 ans
d’expérience au sein des directions Marketing & Sales de larges groupes
internationaux tels que Microsoft, Blizzard Activision, Electronic Arts et Canal+.

Qu’est-ce que Qwant, en quelques mots ?

Qwant est un moteur de recherche européen, alternatif aux moteurs de recherche existants. Notre mission est de proposer aux utilisateurs un moteur de recherche qui respecte la vie privée : nous ne traçons pas les utilisateurs et effaçons systématiquement leur adresse IP. Nous proposons un contexte de recherche avant tout basé sur la sémantique et la qualité des algorithmes.

Aujourd’hui, Qwant c’est un moteur de recherche disponible en plus de 24 langues et une présence dans 3 pays : la France, l’Allemagne et l’Italie.

Dans un monde où les gens sont toujours plus connectés et géolocalisés, comment imposer un modèle qui n’utilise pas de données personnelles ?

Ce n’est jamais facile quand on est dans l’alternative. Je pense qu’il y a un réel besoin de communiquer des valeurs différentes. Il faut expliquer aux utilisateurs ce qu’est l’archi-profilation, leur faire prendre conscience des limites à l’utilisation des données privées (ou des entreprises). Aujourd’hui, l’utilisation qui est faite des données privées nuit à la confiance des utilisateurs, et dans notre monde actuel, où la data est omniprésente, nous sommes convaincus que l’alternative que nous proposons a toute sa place. Qwant ne collecte donc pas de données privées mais en agrégeant et en anonymisant la donnée que nous collectons, nous pouvons proposer aux utilisateurs et aux entreprises des résultats pertinents.

En marge de ces résultats, proposez-vous d’autres services ?

Oui, nous avons de nouveaux services qui arrivent, en lien avec le développement produit. Par exemple, nous avons annoncé une version alpha de la Map Qwant, développée par nos ingénieurs et qui sera bientôt enrichie avec une solution d’itinéraire, sur un système open-source. Nous avons aussi un partenariat avec le groupe Solocal / Pages Jaunes et d’autres acteurs pour répertorier tous les POI (points of interest).

Nous travaillons aussi, et c’est un sujet extrêmement structurant pour nous, à développer une solution Mail. C’est vrai que nous avons pris du retard sur le sujet mais le monde du mail est assez complexe et nous voulons garantir à l’utilisateur que s’il utilise une messagerie Qwant, aucun annonceur ou aucune intelligence artificielle n’aura accès à ses données pour le recibler avant même qu’il n’ait lu ses emails.

Comme Google, comptez-vous proposer un écosystème Qwant, avec différents produits et services ?

Oui, tout à fait, c’est indispensable ! Nous discutons et travaillons avec de nombreux partenaires technologiques pour intégrer un maximum de services qui soient alignés avec notre philosophie basée sur le respect de la vie privée et avec notre approche de service (Whaller, Cozy Cloud, Linagora…). En 2018, nous avons passé des alliances importantes avec des navigateurs comme Opéra et Brave, qui proposent des alternatives innovantes et respectueuses de l’utilisateur. Un grand nombre de navigateurs intègrent aujourd’hui Qwant, par défaut ou bien au sein d’une liste de moteurs de recherche. C’est notre travail au quotidien d’intégrer le plus possible la solution Qwant et de nous lier à des partenaires pour bâtir un écosystème qui soit à la fois cohérent et qui réponde au besoin de respect de la vie privée des utilisateurs.

Est-ce que Qwant peut se positionner comme la nouvelle licorne européenne ?

On l’espère ! En tout cas nous travaillons pour cela ! Eric Leandri, le Président et co-fondateur de Qwant est très clair là-dessus : il pense qu’il faut une alternative aux GAFA et aux nouveaux géants chinois. Nous ne voulons pas voir une Europe sans puissance technologique et handicapée par son système d’entreprise prise en sandwich entre ces géants.

Est-ce réaliste ?

Il vaut mieux poursuivre l’objectif de développer 10 à 100 licornes européennes valorisées à 1 ou 2 milliards de dollars plutôt que d’espérer livrer, dans les 5 prochaines années, un concurrent équivalent à Google, Microsoft ou Facebook valorisé à 100 milliards. Chez Qwant, nous bénéficions d’un alignement assez important avec les politiques de tous bords, car aujourd’hui, il y a pour les européens, une nécessité absolue de reprendre la main sur leur futur, sur la technologie et les plateformes. Il y a nécessité de mettre sur le marché tout un écosystème de licornes européennes qui puissent se battre et imposer une vision des affaires et du monde digital qui est propre à l’Europe et aux valeurs des Européens.

Quel est le rôle de la législation dans la progression de Qwant, et particulièrement le fameux RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) ?

La législation est un levier fondamental. D’abord parce que cela permet de définir des règles entre les acteurs mais aussi parce que cela permet d’expliquer aux utilisateurs ce qui est fait de leurs données lorsqu’ils se connectent et utilisent des produits et services digitaux. Qwant est une entreprise dont la mission est centrée sur le respect de la vie privée et nous soutenons donc activement tous les efforts qui sont faits, notamment ceux de Giovanni Buttarelli, le garant Européen de la ‘privacy’ nommé par la Commission Européenne.

Certains acteurs non européens s’y mettent aussi…

Effectivement, de grands groupes internationaux sont en train d’investir lourdement pour appliquer le RGPD sur l’ensemble des territoires sur lesquels ils opèrent. Ils constatent que la législation européenne fait sens car elle répond à une demande de plus en plus forte des utilisateurs pour le respect de la vie privée. C’est une tendance qui a été particulièrement révélée par les récents et nombreux data gates. Et croyez-moi, il y en a encore plein à venir !

Quel est le rôle de la législation concernant le marché du Search en particulier ?

Grâce à l’évolution de la loi portée par Margrethe Vestager, Commissaire Européenne à la Concurrence, le marché du Search s’est ouvert alors qu’il était complètement monopolisé par les solutions Android et Google. Aujourd’hui, nous parlons directement avec des opérateurs mobiles ou des fabricants de smartphones pour proposer l’installation de Qwant, au sein d’une liste de moteurs ou par défaut. La législation contribue donc à nous donner les moyens de proposer plus directement notre alternative aux utilisateurs.

Aujourd’hui, quel est votre modèle économique ?

Notre modèle repose sur la monétisation de l’audience, qui est en très forte progression puisque nous avons doublé notre base d’utilisateurs sur les douze derniers mois ! Il faut savoir que Qwant bénéficie d’une audience assez qualifiée, avec des utilisateurs qui nous sont très fidèles puisque plus d’un utilisateur sur deux ne repasse plus sur un autre moteur de recherche.

Comment monétisez-vous les audiences ?

Notre modèle n’est pas aussi ample que celui de nos concurrents, il est plus traditionnel. Nous proposons bien évidemment la sponsorisation d’annonces dans les résultats de recherche (de l’adword). C’est notre partenaire Microsoft/Bing qui gère la commercialisation des mots-clés, dans tous les pays dans lesquels nous sommes présents. Nous mettons aussi à disposition des annonceurs et des agences un certain nombre de propositions commerciales et marketing liées à la visibilité de marque. Par exemple, nous pouvons proposer l’espace sur notre page d’accueil (avec parcimonie !) pour attirer l’attention de nos utilisateurs sur une marque, dans un contexte de lancement de produit ou d’animation. Depuis 2018, nous proposons aussi un catalogue Shopping très ample sur Qwant : des milliers de produits sont référencés, soit via des accords d’affiliation directement passés avec les retailers, soit via des comparateurs comme Awin, Connexitiy ou Kelkoo par exemple.

Avec de meilleures performances que vos concurrents ?

Notre approche consiste à proposer à nos annonceurs des espaces de communication sur une cible qui est fondamentalement différente de ce que l’on peut retrouver chez le leader du marché ou le reste de nos concurrents. Pour cela, nous mettons un inventaire à disposition des annonceurs. Mais attention : il n’y en aura jamais partout, Qwant ne sera jamais un sapin de Noël ! Au fur et à mesure, nous apprenons à nous benchmarker, et nous nous rendons compte que Qwant présente un meilleur taux de transformation, notamment grâce à un taux de rebond inférieur. Même si les volumes sont plus faibles que chez nos concurrents, l’engagement de nos utilisateurs est très élevé et, en parallèle, notre base d’utilisateurs grandit à un rythme exponentiel. Tout notre modèle économique est basé sur cela.

Comment vous faites-vous connaître ?

Avant tout, et j’y reviens encore, il s’agit de la qualité des produits et des services qui sont nos meilleurs atouts pour alimenter un bouche-à-oreille durable. Ensuite, il faut montrer ce que nous faisons, et démontrer que nous le faisons bien ! Dans notre monde de communautés hyper connectées, cela passe par les réseaux sociaux, par les prises de paroles de nos managers, par notre présence dans des forums, des débats, etc.

Quels sont vos moyens et vos appuis pour cela ?

Nous sommes face à des concurrents qui ont des moyens presque illimités, ce qui n’est pas notre cas. Mais nous avons encore des marges de progression. Nous avons des actionnaires de référence comme la Caisse des Dépôts, le groupe média allemand Axel Springer, la banque européenne d’investissement : cela nous permet d’avoir de solides ambitions européennes de développement. Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises (petites ou grandes) et d’institutions publiques sont en train de switcher vers Qwant. Il y a eu des annonces assez importantes et symboliques dans ce sens-là, comme l’Assemblée Nationale, le Ministère des Armées, la Région Île de France, la Région Est, le groupe Safran etc., qui sont passés sur Qwant.

Qui et combien sont vos utilisateurs aujourd’hui ?

Il y a quelques contraintes à notre philosophie de respect total de la vie privée : puisque nous ne traçons pas nos utilisateurs, nous devons réaliser des études ad hoc pour connaître leur profil, leur fréquence d’utilisation, etc. Nous sommes en train de mettre en place des panels de mesure mais c’est encore compliqué d’avoir des chiffres précis et validés par tous : la société SimilarWeb nous donne 5% de part de fréquentation quand d’autres nous donnent une part d’audience légèrement en-dessous de 8%. Selon Médiamétrie/NetRatings, plus de 4,5 millions de visiteurs uniques en France sont déjà venus sur Qwant.

Et au niveau européen, où en êtes-vous ?

L’Allemagne est notre deuxième grand marché, Qwant s’y est installé il y a un peu plus d’un an, aidé par l’un de ses actionnaires principaux, le groupe média Axel Springer. Nous avons une base d’utilisateurs plus faible qu’en France (un peu moins d’un million de visiteurs uniques) mais la fréquentation est en train d’exploser car nous réalisons un important travail de marketing et communication sur place. Entre autres, nous avons passé des accords avec le premier groupe de télévision allemand, ProSiebenSat, sur lequel nous avons communiqué en 2018 avec un spot TV et nous poursuivrons cette prise de parole en 2019.

Vous disiez précédemment que Qwant était également présent en Italie

Oui, nous avons également une filiale installée à Milan. Nous avons passé des accords avec RCS (premier groupe média en Italie), qui détient des supports comme Corriere della Sera, Gazzetta dello Sport, des médias qui proposent désormais Qwant comme moteur par défaut. Et enfin, dans la suite de notre développement, nous comptons aussi tous les pays du nord de l’Europe, qui représentent un marché très important, ainsi que le Royaume-Uni, qui est le plus gros marché d’Europe.

Vous parlez de Qwant avec beaucoup d’enthousiasme. Quelles sont les convictions personnelles qui vous ont poussé à rejoindre l’entreprise ?

J’ai passé beaucoup de temps dans des groupes multinationaux dans le contenu, le digital, l’Entertainment (particulièrement les jeux vidéo). Ce sont de très belles marques qui m’ont permis d’apprendre beaucoup de choses et aussi de beaucoup m’amuser (je pense que c’est important d’avoir énormément de fun !). Dans ces groupes, je n’avais pas forcément de visibilité sur ce qui était en train de se passer comme alternative dans le monde digital. Quand j’ai rencontré Eric Leandri et Alberto Chalon (qui a investi dans Qwant), j’ai eu envie de me tourner vers ce monde plus entrepreneurial dans lequel je pourrais participer à un développement différent. Je pense aussi que l’écosystème des startups est fondamental pour le futur d’une nation comme la France et c’est passionnant de participer à la construction, comme on le disait précédemment, d’une potentielle licorne européenne !